07/02 | mis à jour à 10:05 | Jean-Claude Lewandowski| Les Echos
lundi 13 février 2012, par Mathilde Brugier
Impossible d’y échapper. Dans les rues des grandes villes, dans le métro parisien, dans la presse, à la radio, partout des publicités annonçant Salons, publications ou événements divers dédiés aux formations ou aux métiers. Le rituel est désormais bien établi : entre janvier et mars, chaque année, la saison de l’orientation bat son plein, notamment avec l’ouverture du dispositif Admission postbac (APB). Pour des centaines de milliers de futurs bacheliers, c’est en effet l’heure des choix avant l’entrée dans l’enseignement supérieur. Une période vécue dans la fièvre par les intéressés comme par leurs parents.
Or, en quelques années, la mécanique de ce processus a considérablement changé. D’abord, le choix est devenu plus complexe. Pour plusieurs raisons. A côté des grandes filières universitaires, une multitude d’écoles et d’institutions spécialisées - en communication, en gestion, dans le paramédical, dans le design, la mode et la création... -ont vu le jour. Ce n’est pas tout. « Pour certaines filières traditionnelles comme les écoles d’ingénieurs, beaucoup de nouveaux concours d’entrée sont apparus ces dernières années, relève Sophie de Tarlé, auteur du guide « Admission postbac, mode d’emploi » (édité par L’Etudiant). Outre la voie royale des classes préparatoires, il y a de plus en plus de concours postbac, chacun avec ses modalités propres. » Et les écoles de gestion prennent le même chemin. Ajouter les passerelles toujours plus nombreuses entre filières. Sans oublier les clivages entre universités et grandes écoles ou entre privé et public - avec les statuts « intermédiaires ». Résultat, élèves et parents finissent par s’y perdre.
D’autant qu’ils ont le sentiment d’être livrés à eux-mêmes. Le système public d’orientation s’avère en effet peu performant. Les fameux « copsys » (conseillers d’orientation-psychologues), souvent montrés du doigt, connaissent mal le monde de l’entreprise. Et surtout, pas assez nombreux, ils ne peuvent répondre aux besoins de tous les élèves. Rien d’étonnant, dans ces conditions, si les lycéens comptent en priorité sur leurs parents (67 %) pour les aider à faire le bon choix, selon un sondage réalisé par Harris Interactive pour l’Onisep. La famille arrive bien avant les documents fournis par l’établissement (32 %), les enseignants (28 %)... et les conseillers d’orientation (20 %) !
La création du dispositif APB en 2009 marque pourtant un progrès. Auparavant, il fallait faire la queue à la rentrée devant les bureaux d’inscription des universités. Désormais, chacun peut postuler librement à son université préférée, depuis son domicile. Encore faut-il bien comprendre la logique du système, savoir hiérarchiser ses voeux. Et, surtout, être capable de réfléchir à ses choix plusieurs mois avant le bac.
L’angoisse du déclassement
Mais un autre paramètre change la donne : la crise. Avec elle, avec la montée du chômage et l’angoisse du déclassement, les familles - en particulier les plus aisées -ont tendance à « surinvestir » dans l’éducation et donc dans l’orientation des jeunes. Conséquence, un véritable stress autour de ce rendez-vous annuel. D’autant qu’une erreur d’aiguillage paraît lourde de conséquences - et souvent coûteuse financièrement. « Les parents s’inquiètent énormément. Et les jeunes héritent de leurs angoisses, témoigne Mustapha Ben Kalfate, codirecteur de PGE-PGO, une prépa privée aux admissions parallèles qui compte 900 inscrits, à Paris et Nice. Certains n’hésitent pas à adopter des stratégies sophistiquées, de type billard à trois bandes. On voit des étudiants qui partent trois ans à Londres pour pouvoir ensuite s’inscrire aux concours internationaux d’HEC, de l’Essec ou de l’ESCP Europe... »
Dans le même temps, l’information sur l’orientation est devenue plus abondante que jamais. D’abord avec la mise en orbite, longtemps attendue, du grand service public de l’orientation (SPO), doté d’un site Internet (orientation-pour-tous.fr) et d’un service téléphonique gratuit (08 11 70 39 39). Le tout sera complété peu à peu par une série de services locaux labellisés. Parallèlement, sites Web dédiés, dossiers dans la presse, livres, tests en ligne, Salons, journées portes ouvertes et événements en tout genre se multiplient à grande vitesse. « Il y a aujourd’hui beaucoup plus de moyens de s’informer qu’il y a quelques années, constate Manuelle Malot, directeur carrières et prospective à l’Edhec. Cela favorise moins la reproduction sociale. » Problème, toutefois : cette avalanche d’informations finit par créer l’effet inverse de celui qu’on vise. Loin de rassurer, elle contribue à entretenir la pression et l’anxiété.
Un marché florissant
« Les classements d’écoles, par exemple, ont un poids excessif. Cela conduit à des situations absurdes, estime ainsi Agnès Baumier-Klarsfeld, de l’Insa Toulouse, une école d’ingénieurs qui a mis en place un système d’orientation progressive pour ses élèves. Certains sont orientés vers telle ou telle école uniquement parce qu’elle est prestigieuse, sans que soient pris en compte leurs goûts ou leurs centres d’intérêt. C’est un gâchis humain et cela coûte cher à la collectivité. » On finit par perdre de vue les principes de base de l’orientation : « Il faut s’intéresser aux aptitudes de l’élève, à ce qui le motive réellement et aux débouchés potentiels, rappelle Manuelle Malot. Tout le reste est secondaire. » Autre effet pervers qui pointe : les jeunes (et les parents...) se focalisent avant tout sur les formations et s’intéressent moins aux métiers et aux débouchés.
Les lacunes de l’orientation publique, conjuguées à l’inquiétude par rapport à l’avenir, ont favorisé l’éclosion d’un véritable business, sur lequel prospèrent des groupes spécialisés dans l’information étudiante. Avec deux acteurs principaux : L’Etudiant et Studyrama, qui organisent (entre autres) plusieurs dizaines de Salons chaque année. Là où l’on se contentait autrefois d’un bref échange avec un conseiller d’orientation-psychologue (pas toujours efficace, il est vrai...), on dépense aujourd’hui couramment plusieurs dizaines d’euros dans des tests en ligne ou l’achat de guides d’orientation.
Sans compter que de nouveaux acteurs arrivent sur le marché. C’est le cas des spécialistes du soutien scolaire. Acadomia, leader du secteur, a ainsi créé une gamme de services autour de l’orientation : test en ligne (39 euros), module de trois heures (89 euros) et même, pour les plus exigeants, « bilan d’orientation » approfondi, avec une quinzaine d’heures de face-à-face, sur le modèle du bilan de compétences (389 euros, « mais déductible des impôts à hauteur de 50 % au titre des services à la personne », souligne-t-on chez Acadomia). « En règle générale, nous ne souhaitons pas faire de l’orientation une activité à part, précise cependant Philippe Coléon, le directeur général. Le plus souvent, elle fait partie intégrante de notre mission d’accompagnement des élèves. »
Autre nouvel entrant, les cabinets de coaching, qui placent la barre encore plus haut : leurs prestations peuvent se facturer jusqu’à plusieurs milliers d’euros. « Dans les milieux aisés, le recours au coach individuel devient une pratique courante. Même pour de bons élèves, qui n’ont pas de problème majeur, on n’hésite pas à s’offrir ses services. Or le coaching n’est vraiment utile que si le lycéen n’y va pas en traînant les pieds et s’implique dans la démarche. Sinon, on ne fait que se donner bonne conscience », observe Manuelle Malot. « C’est un phénomène encore marginal, estime Sophie de Tarlé. Mais quand une grande école se paie 10.000 ou 12.000 euros par an, on peut comprendre que des parents cherchent à s’entourer du maximum de précautions. »